Chère Jeanne...

Chère Jeanne,

J’aime beaucoup ce que vous faites...

C'est un euphémisme...

Je ne remercierais jamais assez Jocelyn de m’avoir mis sur votre chemin. Jocelyn, avec un p avec un f comme dans Martine...Le jour ou j’ai entendu le "p’tit voisin" à la radio, je me suis dis que vous étiez différente, que vous ne serez pas la chanteuse d’un seul tube, la nouvelle Caroline Loeb ou l'énième Guesh Patti...Je ne m’étais pas trompé...je sais, avec le recul c’est facile à dire !

A part le tout premier, il faudra que je le cherche un jour, j’ai tout vos disques bien sur, c’est un minimum....J’avais acheté le 2eme grâce au "p’tit voisin" donc, qui à l’époque passait en boucle sur FIP, et j’y ai découvert quelques pépites, notamment "un couple normal", une chanson qui...qui en son temps me parlait beaucoup disons...J’ai surtout découvert votre qualité d’écriture, légère et profonde à la fois, tout ce que j’aime chez une femme, enfin chez un être humain en général...

Le troisième album (à part le fait que j’ai déploré que vous ayez coupé vos cheveux...quoi que !) j’ai usé le saphir de mon lecteur CD à force d’écoute répétée et intensive, "Voilà" étant le morceau de bravoure de ce disque foisonnant, chanson dont vous avez certainement du écrire la chute pour moi: "si j’avais pu choisir entre moi et autre chose / c’est un peu moche à dire mais j’aurais pris autre chose / j’y pense assez souvent et je commence à m’y faire / quand j’en aurais le temps je finirais même par me plaire"... Tout pareil !!

Votre dernier disque est donc sorti cette année...Depuis "des visages des figures" de Noir Désir en 2001, jamais je n’avais autant attendu la sortie d'un album...Bon...ben j’espère juste que vous n’allez pas assassiner votre mec maintenant...

Charade, jusqu'à peu, c’était le titre d’un film magique au casting de rêve: le beau Cary Grant, la sublime Audrey Hepburn, et Stanley Donen à la baguette, par ailleurs réalisateur de mon film préféré, "Chantons sous la pluie", excusez du peu, et ça vaut bien le casting de Camping 2 (Tsss...mais pourquoi toujours vouloir comparer ce qui n’est pas comparable juste pour le plaisir de dénigrer ?! Pourquoi ne pas vous comparer à Lara Fabian tant que j’y suis??)

Charade, c’est donc aussi, maintenant, le titre de votre dernier disque...

Il est sorti le 8 mars, le jour de la journée de la femme, et ne me dites pas que c’est un hasard...Vous avez prouvé à maintes reprises que vous étiez sinon féministe, du moins particulièrement sensible à la condition de la femme..."on dirait que c’est normal" par exemple, sur votre album précédent, est une chanson complètement bouleversante qui devrait être enseignée dans tous les collèges, de banlieue notamment...Gainsbourg avait tort, la chanson n’est pas un art mineur, et les votre en sont la preuve chère Jeanne...

Alors me direz vous, pourquoi ai-je attendu autant pour parler de vous ici, depuis le 8 mars ?

Parce que je n’arrivais pas à écrire cet article déjà, tant je voulais qu’il soit parfait, mais il ne le sera pas, et tant j'avais envie qu’il colle au plus près possible de ce que j’ai envie de vous dire, chère Jeanne....Ne rien oublier, réussir à tout exprimer, clairement, sincèrement...Et ça prend du temps de mettre ses idées en places dans un cerveau aussi dérangé mal rangé que le mien...

Et puis je voulais faire le tour de cet album, ne pas réagir à chaud, analyser...

Parce que je vais être franc, il  faut toujours être franc avec les gens qu’on aime : il m’a un peu déçu cet album...

Voilà...

Voilà voilà...voilà !

Enfin non , pas déçu, c’est pas le mot...troublé...ému...enfin je ne sais pas...

Oh, je n’ai pas été déçu sur la forme : votre voix est toujours aussi claire, vos mélodies toujours aussi accrocheuses, les arrangements, les chœurs, les instruments, et c’est vous qui avez tout fait, tout est toujours aussi soigné, c’est d’une limpidité et d’une douceur pour mes oreilles si vous saviez...Personne d’autre ne me fait cet effet là, pas même un Brel, pas même une Véronique Sanson ou une Barbara...Vous êtes de la trempe de tout ceux là, des plus grand(e)s, c’est évident, et vous avez tant et tant à nous donner encore...

Non, c’est sur le fond que ce disque m’a mis un peu mal à l’aise...ce disque...comment dire...ce disque, c’est en tout cas l’analyse que j’en fais à l’aune de mon état d’esprit actuel, c’est le disque...du désabusement (c’est dans le dico, si si !)...

C’est le disque d’une génération, celle des trentenaires, qui ont essayé...qui ont voulu aimer, pour la vie, construire, comme leurs parents, et puis qui ont échoué, peu ou prou, parce...parce que l'époque a changé, tout simplement...Alors ils règlent leurs comptes ("certains animaux", je plains le type qui vous l’a inspiré celle là!), décident (ou pas) de ne pas s’engager ("lorsque tu m’as"...ou encore  "en toute amitié", parfaite illustration de  tout ce que moi j’ai raté récemment)...c’est le disque de la nostalgie d’une période de sa vie, l'adolescence, pourtant pas franchement vécue sereinement non plus, en son temps ("cinq ou six années")...c’est le disque des échecs encaissés, et qui forgent le caractère ("plus rien ne me fera mal", bouleversant)...C’est le disque de ce qu’on voudrait être, mais on y arrive pas, parce que ça bloque, quelque part, là haut ("mon corps est une cage")...C’est un disque d’amour, malgré tout ("j’ai pas peur")...Et c’est un disque politique aussi, et de gauche en plus ("pays d’amour")...Mais nom de dieu Jeanne, vous n’avez donc pas de défauts ??!

Et puis il y a ces charades musicales, qui donnent le titre de l’album, et qui s'insérent toutes les trois chansons...

C’est incroyable, là encore, comme vous savez si bien décrire tout ça, en une poignée de mots, et comment je me reconnais dans votre coté "éternelle insatisfaite"...un exemple, au hasard :

Mon premier fait mal l’amour, mais il est brillant

Mon deuxième fait bien l’amour, mais il est navrant

Mon troisième me fait fuir, quand il est trop proche

Mon quatrième me fait rire, mais il est trop moche...

Et puis cette fin, commune à chaque charade, et qui pourrait être tout simplement la devise de ce blog, que dis-je, le résumé même de ma vie, depuis 25 ans:

Mon tout je le cherche en vain, ici ou là bas

Je le traque, mais je crains, qu’il n’existe pas...

Soupir...

Je ne sais pas quelle est la part d’autobiographie dans tout ça chère Jeanne...je ne sais pas si c’est votre bio qui défile, chanson après chanson, mais en tout cas on dirait furieusement la mienne...

Alors voilà, pardonnez moi de vous écrire ça Jeanne, mais je trouve que c’est un disque un peu noir...gris disons...ou alors c’est moi, ce n’est pas non plus impossible...c’est le disque du désamour, de soi, des autres...du désenchantement à tout le moins...Je l’ai passé moi, il y a un peu plus d'un an, ce cap du trentenaire désabusé et désenchanté...je suis maintenant un quadra désabusé !...Alors ce disque, c’est un peu un miroir que vous me tendez...celui de mes échecs...celui des occasions perdues...celui de la nostalgie de l’adolescence, alors que comme vous je n’étais pas plus heureux que maintenant, loin s’en faut...mais si je pouvais rembobiner le film, revenir à l’adolescence, et faire autrement...et puis surtout celui de la quête incessante, et peut être insoluble, de son alter ego...

Et c’est tout ça qui est douloureux...

Ce disque fait trop réfléchir, c’est ma faute aussi, je n’ai qu’à écouter Lara Fabian après tout...

Alors pardonnez moi chère Jeanne, mais celui là, je n’arrive pas à l’écouter en boucle...trop dur...trop moi...j’ai déjà du mal à me supporter au quotidien mais si en plus c'est pour m’entendre dans mes enceintes...

Mais bordel, pourquoi je n’arrive pas à écouter une chanson sans y chercher et souvent y trouver le reflet de ma propre histoire ? Pourquoi les votre sont elles si proches de mon état d’esprit Jeanne ? Comment faites vous pour lire dans mes pensées ? Devrais-je vous faire payer des droits d’auteurs, un copyright pour plagiat de pensée ??

Comment voulez vous que je ne tombe pas amoureux de quelqu’un qui me comprend si bien sans même me connaître ?!

Je me sens si proche de vous, si vous saviez...

En plus c’est idiot, et je me fais peut être du mal pour rien...Parce que si ça se trouve, vous ne portez jamais de bas par exemple ! Et ça pour moi, c’est quasi rédhibitoire ! Dites moi que vous ne portez jamais de bas s'il vous plait Jeanne, cassez le mythe, je vous en prie...

Dites moi que vous portez des leggings...Aaaaarghhhh!!!...je serais fort, promis !

En tout cas vos tenues de scène ne me laissent pas indifférent, et ça aussi hein, bon...Non, décidément, vous ne faites rien pour me faciliter la tâche !!

Du coup, je crois que je ne viendrais jamais vous voir en concert...j’aurais trop peur d’en sortir malheureux aprés avoir atteint le paroxysme de la frustration, avoir été si près de vous pendant deux heures  mais de ne pas avoir pu atteindre "l’inaccessible étoile" comme chantait Brel, moi, pauvre petit fonctionnaire sans intérêt, lâche, bedonnant et pleurnichard, et vous, l’incarnation vivante que Dieu n’a pas fait que des conneries, et peut être même qu’il existe, carrément...Oui, quand je vous entend, j'ai même envie de croire en Dieu Jeanne, moi, c'est vous dire...

Enfin je ne sais pas si je ne viendrais pas vous voir quand même...j’aimerais tellement vous entendre, "en vrai"...vous voir chanter, autant que vous écouter...

Considérez cette lettre, chère Jeanne, comme une déclaration d’amour, c’en est une...Sinon à la femme, je vous connais si peu hélas, du moins à l’artiste...

Car avec vous, en analysant un peu (trop?), j’en suis même arrivé à une conclusion...comment dire...tellement satisfaisante pour moi:  plus qu’avec une femme soumise, plus qu’avec une femme dominatrice - j’en suis tellement revenu de tout ça, enfin j'espère - je pense qu’il n’y aurait rien de plus apaisant, de plus valorisant, de plus euphorisant, de plus épanouissant au final, que de vivre avec une artiste...une artiste comme vous, oui bien sur...Je serais votre muse à défaut d’être votre maître, votre homme de main, pour vous décharger des soucis du quotidien, à défaut d’être votre soumis...Et vous seriez mon tout à moi aussi...mon amie, mon amour, mon amante, mon porte parole, mon envie de me lever le matin, mon inspiration, ma respiration...mon oxygène...

Je divague...pardonnez moi, je me prends, une fois de plus, pour ce que je ne suis pas...

Pour ce que je ne serais jamais: "on le dit, certains animaux sont lâches..."

Mais vous, promettez moi de continuer à le traquer, chère Jeanne, votre "tout" à vous...Ce n’est pas possible qu’il passe plus longtemps encore à coté d’une femme comme vous, cet espèce d'idiot...

C’est aussi ça, que j’avais envie de vous dire, et tant mieux, pour lui, pour vous, si vous l’avez déjà trouvé...Soyez heureuse Jeanne, mais restez lucide, ça nous donnera de si bonnes chansons...

Et puis sinon...

En espérant, secrètement, et naïvement, que cette traque vous conduise jusqu’à...

...cet article...

Juste cet article, moi aussi je suis lucide...

Bien à Vous...

Jeff

Comments

[jeff]

pfff...je vois plus les petites lignes moi non plus, c'est malin...
Vous êtes...adorable, voilà, c'est dit!

[Cassiopée]

" Mais bordel, pourquoi je n’arrive pas à écouter une chanson sans y chercher et souvent y trouver le reflet de ma propre histoire ? "... Ben, parce que vous êtes normal !
Mais bon, c'est pas dieu qui existe, c'est Jeanne, et c'est vrai qu'elle est touchante, qu'elle tord un peu les tripes, qu'elle est adorable sur cette photo.
Bon sang, Jeff, soyez heureux, merde ! Pis arrêtez de me troubler le regard dès le matin au bureau, je vois plus les petites lignes des contrats...
Bon ben moi, je fonce sur Deezer et vous, vous buvez un p'tit verre en vous disant que si Jeanne existe, d'autres personnes qui lui ressemblent existent aussi, il ne peut pas y avoir 6 milliards de combinaisons, la personnalité profonde des gens ça n'a rien à voir avec la génétique.
Allez zou, un câlin, pis un bisou sur la tempe, là où j'aime bien sentir battre le cœur des copains